Son histoire au sein de l'oeuvre du Rocher : https://www.amazon.fr/dp/2360401319/ref=rdr_kindle_ext_tmb
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Par le Père Bernard Peyrous, directeur des Chapelains du Sanctuaire de Paray-le-Monial :
Le jeudi 20 janvier 2011, une foule considérable s‘était rassemblée dans la basilique de Paray-le-Monial. Une foule comme on n’a pas l’habitude de la voir dans les églises : des gens visiblement étrangers à ce type de lieu, de toutes origines, de toutes religions; d’autres, des chrétiens, visiblement chez eux dans cet édifice. Certaines personnes étaient venues en car, depuis les banlieues de la région parisienne et du sud de la France. D’autres arrivaient de loin, jusque de New-York. On sentait une émotion intense, un immense respect.
Le cercueil entra porté par quatre hommes d’origine africaine, extrêmement émus. On avait l’impression qu’ils tenaient entre leurs mains quelque chose de très précieux. Ils portaient le corps d’Anne-Sophie Tisserand, trente ans, mariée, ayant quatre jeunes enfants âgés de sept ans à quinze mois. Elle était décédée trois jours auparavant, le 17 janvier. On l’avait habillée avec sa robe de mariée, qu’elle avait revêtue une seule fois auparavant, dix ans plus tôt. C’est elle qui avait demandé à être ce jour-là en blanc. A la fin de la célébration, quelqu’un s’approcha du prêtre qui avait présidé et lui dit à mi-voix : « Santa Subito ! »[1] et il ajouta : « Je suis sérieux. Il faut la prier. Qui était Anne-Sophie Tisserand ?
1.- Sa vie
Anne-Sophie était née à Boulogne-Billancourt le 11 août 1980. Elle appartenait à une famille catholique de sensibilité traditionnelle. Son père, Christian, était cadre supérieur de grande entreprise et sa maman, Véronique, était artiste peintre et mère au foyer. Anne-Sophie était la deuxième de cinq enfants.
Sa famille était très pieuse, et elle fut éduquée dans ce milieu où l’on disait le chapelet chaque jour, où l’on faisait des pèlerinages, où la foi prenait une place importante, ceci dans une ambiance simple et classique. Elle fut élève au lycée des Mureaux, en banlieue parisienne, dans les Yvelines, où il y a maintenant une mission du Rocher. Mystérieusement, elle s’accoutumait déjà au monde des cités tout proche de son établissement. En terminale et début de ses études universitaires, (1ère année de fac de lettres modernes où elle ira jusqu’en maîtrise), elle connut le scoutisme : elle devint rapidement cheftaine, fit sa promesse, s’occupa de louveteaux. Elle commença ainsi à vivre son propre chemin de foi.
C’est en janvier 2000 qu’à l’occasion d’une formation dans le cadre de la Fédération des Scouts d’Europe (FSE), elle rencontra Cyril Tisserand. Celui-ci venait d’un milieu en partie incroyant. A la suite d’une évolution spirituelle récente, il avait compris qu’il fallait s’occuper de l’univers des cités, et il était en lien avec le père Jean-Marie Petitclerc, salésien, un grand éducateur de notre temps. Elle tomba amoureuse progressivement, pas dans un coup de foudre. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, elle agissait selon ce qu’elle était : avec patience, douceur, intériorité, et joie.
Au moment de leurs fiançailles, Cyril partait à Bondy pour créer un projet dont il avait eu l’intuition « LE ROCHER ». Il s’agissait de faire vivre des Chrétiens au cœur des cités, en lien étroit avec les habitants de celles-ci, dans l’amitié, en les aidant, notamment par un travail social et éducatif professionnel, et en donnant un témoignage de Foi, d’Espérance et de d’Amour. C’était quelque chose de très audacieux, et de très original en même temps. C’est durant cette période de fiançailles qu’Anne-Sophie a vraiment accepté d’entrer avec Cyril dans ce projet du Rocher.
Cyril et Anne-Sophie se sont mariés le 21 avril 2001, veille de la première célébration du premier dimanche de la Miséricorde, que Jean-Paul II venait de proclamer. Le soir même, Cyril l’emmena dans son HLM, à la Cité où ils allaient habiter, habillée en robe de mariée. Ils eurent la joie d’accueillir, en dix ans de bonheur commun, quatre beaux garçons.
Décrivons en quelques mots la personnalité d’Anne-Sophie, car celle-ci explique les dix ans qui vont suivre. De tempérament, elle était très intérieure, profonde, elle aimait la littérature et lisait énormément. Elle avait une très grande mémoire. Douée pour les langues, elle en connaissait plusieurs. Elle aimait profondément la vie, son mari, ses enfants, et les gens en général. Elle ne faisait pas de grands projets, à l’inverse de Cyril, mais elle était souvent d’accord avec lui ; elle acquiesçait à ces intuitions après plus mûre réflexion. Pour discerner un projet, Cyril attendait souvent son accord, sans le lui dire, comme le signe que « c’était bon ». Par contre elle était très humble face à ses propres qualités.
2.- Sa mission au Rocher
Cyril et Anne-Sophie ont vécu ensemble l’aventure du Rocher.
Quel fut le rôle d’Anne-Sophie ? Elle a « féminisé » et « maternisé », au meilleur sens de ces deux mots, la mission du Rocher. Elle était très femme dans sa manière d’être. Par exemple, elle se maquillait, sobrement et avec bon goût. Une sœur de la communauté de l'Emmanuel lui avait fait cette remarque positivement, comme un compliment. Elle passait énormément de temps à dialoguer avec les femmes qui venaient à elle. Quand elle revenait de l’école avec les enfants à Toulon, elle allait devant Le Rocher, elle s’asseyait sur un muret et elle engageait la conversation avec les mamans de la cité. Elle parlait peu, elle était très écoutante. On se sentait compris. Elle multipliait ainsi les contacts, et cela lui valait, de la part des hommes, un grand respect. Elle voulait également être efficace et aider au mieux les personnes. Ainsi, elle avait lancé les « ateliers des filles » et les « ateliers des mamans ». Sa joie c’était vraiment le contact avec les gens : « être avec les gens ».
Comment a-t-elle vécu cette mission ? Elle l’a vécu dans l’abandon. C’était sans doute la note caractéristique de sa vie spirituelle. Elle ne vivait pas sa foi de manière volontariste, mais dans une attitude de service pour cette mission précise du Rocher.
La mission était quand même difficile pour elle parfois. Elle qui avait grandi dans l’amour des belles choses, elle qui était faite pour ces belles choses, elle qui comprenait l’art, ne trouvait pas cela facilement dans sa vie quotidienne dans la Cité. Par contre, la vie spirituelle et les beaux chants de louange qu’elle aimait tant, lui étaient d’un grand secours.
L’été 2009, Anne-Sophie eut un songe. Un songe n’est pas un rêve. Dans un rêve, ce que l’on perçoit a un caractère assez irréel, un peu fantomatique, c’est une projection de l’inconscient. A l’inverse, un songe est objectif, il a une puissance de réalité extraordinaire. Il se grave profondément et précisément dans la mémoire. C’est réellement une visite du Ciel. Anne-Sophie vit donc Jésus qui lui disait : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? ».[2] Ce «ceux-ci » lui a fait immédiatement penser (c’était très clair pour elle) à Cyril et les enfants. Elle a répondu intérieurement « oui » rapidement (non plus dans le songe mais dans le réel).
Le 31 décembre 2010, Vivien, un grand ami du Rocher, revenu de mission Fidesco aux USA, leur rendit visite, en leur proposant de piocher charismatiquement deux cartes de Saints (parmi environ 200) avec une phrase : Anne-Sophie a pioché St Pierre, avec cette phrase : « Oui Seigneur, tu sais bien que je t’aime ; »
Les 10 années de mariage d’Anne-Sophie et de Cyril, avant la maladie, correspondent avec leurs dix années au service du Rocher.
3. - Sa maladie
En juin 2010 l’aîné des garçons d’Anne-Sophie et de Cyril fit sa première communion. Or elle ne se trouva pas bien. On fit des examens le 14 juin, une première opération eut lieu le 21 juin et le diagnostic fut rendu le 5 juillet. Cyril avait choisit de transmettre la direction du Rocher dans la nuit du 16 au 17 janvier 2010. La famille avait conscience qu’elle allait commencer une nouvelle étape de sa vie. Le projet était d’élargir l’expérience du Rocher à d’autres pays du monde. Concrètement, il s’agissait pour les Tisserand de partir maintenant s’installer à New-York dans le Bronx. En attendant, la famille pouvait prendre un peu de repos. Ce 5 juillet « c’était notre premier jour de vacance », disait Cyril. Ce fut aussi le jour où elle apprit qu’elle avait un cancer rarissime. Pour ce type particulier de cancer, le diagnostic ne donnait aucune chance de survie. Ce jour-là, elle parla à Cyril, mais très prudemment, sans prétendre tout comprendre, comme un pressentiment, du songe de l’été précédent.
Anne-Sophie ne voulait pas mourir. Jusqu’au dernier jour, elle souhaitait sa guérison : pour son mari, pour ses enfants, pour ceux qu'elle aimait, disait-elle aussi souvent. Elle aimait la vie et elle continua à l’aimer même dans les extrêmes souffrances. Elle engagea toutes ses forces dans la résistance à la maladie. Elle espéra jusqu’au bout. Elle fut énormément soutenue de toutes parts : du côté de son mari qui l’admirait de plus en plus. Il trouvait même sa femme « de plus en plus belle » à mesure que la maladie avançait. Du côté des habitants des cités de Bondy et de Toulon, très émus de ce qu’elle vivait. Du côté des prêtres. Du côté des membres du Rocher.
Anne-Sophie a beaucoup souffert. Aucun traitement ne l’a soulagée vraiment ni n’a pu entraver la marche rapide de la maladie. Le 31 décembre on lui annonça qu’il n’y avait aucun espoir. Elle dit un jour : « en souffrance rien ne m’a été épargné ». Elle avait tellement mal à certains moments, qu’elle ne pouvait plus s’asseoir ; elle restait courbée en position a genoux, comme pour prier, la tête prostrée en avant, en position fœtale : c’est ainsi qu’elle avait le moins mal. Il y eut une période où elle était tordue de douleurs, n’ayant pu aller aux toilettes pendant 15 jours. Même là elle ne criait pas, ne se plaignait pas. Il y eut aussi un épisode incroyable : elle devait subir un examen médical, une coloscopie, qui nécessitait une anesthésie locale et on le lui avait dit. Pour une raison inconnue, les médecins ont fait l’examen sans anesthésie : elle a souffert dès le début mais n’a pourtant rien dit.
Anne-Sophie décida, dès le début de la maladie, de la vivre en union avec le Christ et d’offrir ses souffrances pour le salut et l’évangélisation du monde. Elle a clairement et plusieurs fois explicitement affirmé qu’elle les offrait pour trois grands axes d’intercession :
- son mari et ses enfants
- les Missions, notamment du Rocher
- les prêtres.[3]
A plusieurs reprises évoquant en couple son départ possible pour le Ciel, Anne-Sophie évoqué la question de l’absence d’une maman pour ses enfants et disait à Cyril « tu sais je voudrais vraiment que tu saches que tu pourrais te marier à nouveau si le Seigneur t’y appelle», mais Cyril refusait catégoriquement l'idée. Un mois avant son départ où elle était alitée et très faible, elle dit à Cyril « Je vois bien que tu es capables de t’en sortir avec les enfants, de t’organiser, mais une maman c’est tellement important. Si je pars, tu sais, je voudrais une maman pour mes enfants ». Cyril lui dit alors qu’elle serait leur maman au Ciel si jamais elle partait, alors elle lui répondit « Oui tu as raison, et dès que j’arriverai au Ciel, c’est moi qui vous trouverait une maman et une épouse ».
La souffrance ne la fermait pas sur elle-même. Elle voulait « être une source de fraîcheur spirituelle pour les autres. » Elle l’avait écrit au dos d’une feuille, qui était la liste des participants au pèlerinage des cités à Paray-le-Monial pour lesquels elle s’était décidée à prier. Elle gardait un cœur de compassion. Au milieu de sa souffrance, elle évoquait avec tendresse une jeune fille du Rocher en disant : « ma petite Jennifer… ». Elle restait profondément humaine. Elle écrivait ainsi trois jours avant sa mort, le vendredi 14 janvier : « ... J’aime observer les petites et grandes choses qui construisent mon quotidien, personnes, rencontres, objets, livres, les regarder sous un autre angle, découvrir dans ce qu’ils ont d’unique quelque chose de la beauté, de la grandeur, de la fragilité, de la profondeur de la vie, et les garder, comme un trésor… ».
Les douleurs empirèrent avec le temps. Elle souffrait le martyre. Elle déclara un jour à un frère prêtre qui la visitait : « Je pleurais, je pleurais, tenant le petit Jésus[4], et la sainte Vierge. »[5] La tumeur avait sans doute attaqué les nerfs : elle disait qu’elle se sentait « brûler vive », du ventre aux genoux. Les médecins lui donnaient des doses impressionnantes de morphine et de neuroleptiques pour calmer la douleur. Mais cela ne suffisait pas. Elle était désireuse de guérir, et tout à la fois abandonnée à l’issue finale quelle qu’elle serait. Elle avait accepté sa mort probable : « je t’aime Seigneur, je suis prête ».
Quelques jours avant sa mort, elle écrivait dans son carnet personnel :
« ... J'ai l'intuition d'une résurrection à venir pour moi. Mais je ne sais pas quand, je ne sais pas comment. La Résurrection de la guérison ? La Résurrection après la mort ? Je ne sais pas, Dieu seul sait. Mais je sais qu'Il prend soin de moi. Je l'aime, Il est mon Dieu, mon Roi, mon Père, mon Rocher, mon Espérance et ma joie ! »
Le jour où elle a le plus souffert fut le vendredi avant sa mort. Le lendemain, samedi matin 15 janvier, Cyril devait lui rendre visite à l’hôpital avec les enfants, mais elle l’appela, lui disant : « Ne venez pas… je souffre trop… ce sera trop dur pour les enfants ». Cyril ne vint donc pas. A 17h l’hôpital le contacta en lui disant qu’ils l’avaient placée en réanimation, juste pour mieux l’observer : « Il n’y a pas de risque pour cette nuit ». Mais à 23h, Cyril recevait un coup de fil alarmé de l’hôpital : Anne-Sophie avait fait une septicémie sévère, puis un choc septique (infection généralisée). Cyril arriva aussitôt mais les médecins avaient dû la mettre en coma artificiel, et le pronostic vital était engagé. Le médecin du service de réanimation a écrit plus tard: « Elle savait que j’allais la mettre dans le coma ; elle a montré un grand courage et n’a émis aucune plainte » et encore « je voudrais vous dire combien votre femme m’impressionnée pendant sa prise en charge ».
Le scanner montrera une péritonite en situation d’aplasie : intestin ouvert, bactéries répandues dans le corps au moment où, suite à une chimiothérapie intensive avant une autogreffe, elle n’avait plus de globules blancs pour se défendre. Cyril passa ainsi toute la journée du dimanche à son chevet. Il était souvent interrompu par les médecins, mais ils eurent trente minutes de vraie intimité. Malgré tout Cyril rentra chez lui le soir, car il fallait bien s’occuper des enfants.
Mais, vers 3h du matin, dans la nuit de dimanche 16 au lundi 17 janvier il reçoit un appel de l’hôpital l’avertissant que c’est bientôt la fin. Il arrive à l’hôpital et va assister Anne-Sophie jusqu’à sa mort. Elle est dans le coma mais elle l’entend, la suite va le montrer. Quand il arrive son cœur bat rapidement, aidé par l’adrénaline délivrée. A l’arrivée de Cyril les médecins arrêtent de la soutenir. Peu à peu, le rythme cardiaque diminue : 140… 138… etc., jusqu’à 50. Pendant tout ce temps il prie des « Je vous salue Marie ». A ce stade il se dit que la fin est toute proche : il redit à sa femme son amour pour elle, et lui confie les enfants, les missions du Rocher et une nouvelle mission qui allait démarrer: Aimer et Servir. Précisément à ces paroles son cœur se remet à battre plus rapidement, remontant jusqu’à 120, signe qu’elle l’a entendu. Puis le rythme cardiaque décline de nouveau doucement. Il l’embrasse. Il la bénit. Elle s’éteint quelques instants après.
4.- Quelques traits de sa personnalité spirituelle
Anne-Sophie « aimait surtout la louange, car la louange c’est pour les simples et elle était simple ». Ses grandes qualités de mémoire faisaient qu’elle savait les chants par cœur. Elle aimait l’adoration et sa compassion envers tous les hommes s’exprimait par sa grande qualité d’écoute. Alors que Cyril vivait de grands combats intérieurs, elle était toujours paisiblement sûre que c’était leur appel.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus était une grande amie pour elle. Toute sa vie elle a beaucoup aimé la Vierge Marie : mais vers la fin elle a reçu une forte grâce particulière de découverte de la maternité de Marie à son égard : « j’ai découvert Marie comme ma maman, c’est incroyable ». Elle lui a clairement dit un jour : « Marie, je te confie ma mort ». Le 7 janvier, elle avait rédigé dans son carnet personnel un texte où elle témoignait de son désir de mieux connaître Marie, « mieux la connaître au pied de la croix… »
Elle était d’une grande sensibilité. Une énorme qualité chez elle : elle ne critiquait jamais les personnes. Elle ne voyait que le positif chez elles. Même avec des gens que Cyril pouvait juger parfois « difficiles », c’est comme si naturellement elle n’avait « rien vu ». Elle apportait un autre regard sur les personnes et les situations, qui aidaient beaucoup Cyril dans son discernement. Elle apaisait les décisions, évitait les incidents.
Depuis le décès, Cyril a reçu plusieurs messages témoignant de la grâce d’amitié dont était capable Anne-Sophie. Pour elle l’essentiel c’était les personnes.
« Chers Sylvie et Jean,
je vous envois donc ce qui vient dans mon cœur, ce n'est pas tout un témoignage mais plutôt un trait de ce qui caractérisait un peu Anne-Sophie dans ce que je pouvais voir de mon côté au quotidien.
Anne-Sophie et la notion du temps :
Dans les différents contextes où je pouvais voir Anne-Sophie, elle ne se mettait pas en première ligne ou en avant, elle ne cherchait pas à attirer l'attention, cela ne semblait pas l'intéresser, mais elle était là. Là et bien présente, là et disponible. Dans quel sens?
En effet elle était présente et disponible pour rentrer en relation avec la personne qui se trouvait prés d'elle. Quelle que soit cette personne. Cette relation établie ne semblait pas être forcée, calculée, intéressée, où de l'ordre de la bonne action que je fais en prenant du temps pour l'autre en étant dans la compassion. Non c'était simple. Une relation d'égal à égal où j'ai conscience que cette personne à quelque chose à me révéler comme moi même j'ai quelque chose à lui apporter. Mais pour découvrir ce trésor de l'autre, elle savait prendre le temps. Et là sa notion du temps était pour moi surprenante. Elle était tout à la discussion, tout à la personne, vraiment intéressée, ne comptant pas ses minutes, qui de nos jours ont valeurs d'or.
En se dévoilant simplement elle même, elle savait faire tomber les protocoles des discours préétablis afin de rentrer dans une relation de simplicité et de vérité. »
G.
« Je voulais lui écrire et lui dire combien elle a changé ma vie de foi, notre vie de foi et le temps m’a prise de court. Bien vite, trop vite.
Lorsque je pense à Anneso, je vois cette belle femme brune aux yeux bleus maquillés, avec ses perles noires aux oreilles et ce sourire à la fois doux, franc , beau y compris la semaine dernière à l’hôpital où mon mari et moi avons été saisis par cette beauté à la fois intérieure et extérieure qui rayonnait dans la chambre !
Je me souviens de nos conversations qui pouvaient être si profondes ou si « filles » , Anneso est pour moi l’exemple de la profondeur incarnée ds le monde. Je me retrouvais ds sa vision du couple où être femme, épouse a une place si importante…elle était si forte malgré une fragilité physique avec le rythme de ses 4 garçons, souvent fatiguée avec ses sinusites, si on avait pu deviner qu’un jour elle supporterait de telles souffrances physiques… . Force qu’elle puisait ds sa prière quotidienne et sa façon bien à elle de vivre au jour le jour chaque jour que dieu fait !
Je priais fort aujourd’hui pour Anneso et en ouvrant ma Bible je suis tombée sur le livre de Daniel 4 : LE SONGE PREMONITOIRE !!!! et le témoignage de Cyril sur les 2 songes d’Anneso m’avaient spécialement marquée... ms j’attends avis de Cyril avt de le raconter… La semaine dernière, nous avons aussi parlé du sang des martyrs qui convertit tt autour de lui, Cyril (au bord des larmes) souhaitait une mort « évangélisatrice » pour sa tendre anneso, et bien nous le voyons ds les cités, chez nos amis, eh oui ! Elle continue de toucher les cœurs, alliant la grâce du ciel et la force sur terre dorénavant.
Je vous embrasse de tout mon cœur si triste ms si plein d’espérance de la savoir au Ciel »
M.A.
« Mes difficultés à m’exprimer entravent un peu (beaucoup !) tout ce que je voudrais te partager. A la grâce de Dieu et que l’Esprit Saint vienne me guider et m’éclairer !
Une des premières choses qui m’a attiré fortement chez Anne-Sophie, c’est sa profonde humanité, sa façon simple d’être vraiment incarnée, en tant que femme et puis en tant que maman. Sa façon de prendre soin de son apparence n’avait rien de superficiel, son soucis de la beauté mais aussi pour les autres : toi (un partage lors d’un petit repas à la cafet m’a beaucoup touchée. Nous parlions de la relation au corps. Et je me souviens qu’Anne-Sophie aimait la façon dont tu la regardais et qui la rendait encore plus femme. Ce partage tout simple, intime mais si pudique m’a beaucoup fait cheminer dans mon intimité avec mon mari. Et puis elle avait une façon tout à elle, toute pure, de dire que la sexualité dans le couple était quelque chose de bien agréable !) et puis ceux qu’elle pouvait rencontrer. Son souci de prendre soin d’elle était pour moi une manière d’entrer en relation avec l’autre et de le respecter. J’ai aimé faire les boutiques avec elle. Cette journée m’a aidé, à travers son regard, à mieux apprécier mon corps de femme et à accepter qu’il soit davantage mis en valeur et visible. Merci ma très chère Anne-Sophie !
Parmi les partages qui m’ont beaucoup touché et fait grandir, il y a eu ceux pendant lesquels nous partagions nos limites, surtout celle de maman dépassée. (C’est à son contact que j’ai appris à dire non pas : tout va bien, je gère mais je suis complètement débordée mais ça ira mieux demain ou plus tard avec la grâce de Dieu !) . Elle voyait ses limites, s’en remettait au Seigneur certes, mais cherchait toujours un moyen d’améliorer le quotidien au jour le jour, par les livres, les partages, cette formation CNV, des petites décisions simples. Je me souviens qu’après la naissance d’Alexandre, elle était particulièrement fatiguée. Elle s’en est souciée en consultant. Te souviens-tu de cette période où elle avait des douleurs abdominales qui l’inquiétaient. Elle avait consulté un autre gynécologue qui était un peu plus à l’écoute. Il lui avait parlé d’un peut-être mauvais fonctionnement du foie et puis finalement les résultats d’analyse n’avaient rien donné. Pendant cette période « d’incertitude », elle m’avait confié : « tu sais, j’ai un peu peur. Je crois que je ne supporterai pas la souffrance d’une maladie comme le cancer ou un truc grave… » (Ses paroles me sont revenues comme un cou de fouet quand j’ai lu votre tout premier mail). Et puis, sa confiance en Dieu lui faisait dépasser ses peurs et avancer. C’est dans cette même période, qu’elle appréhendait la venue d’un quatrième enfant… Elle était si frêle ! Là encore j’ai été saisi du chemin que la grâce de Dieu a fait dans son cœur en quelques mois. Un jour, elle m’a tout simplement dit : « ça y est, maintenant je suis prête à accueillir à nouveau un enfant ! » Elle vous aimait tant ! Elle savait si bien aimer !
Il m’a semblé que l’accueil d’une éventuelle nouvelle mission (Le Bronx NY) s’est faite dans la même douceur….Elle était si heureuse d’avoir « un petit chez soi » ….Un pas après l’autre avec l’aide du Seigneur et la tienne et puis celle des frères aussi ! C’est aussi ce qui m’a beaucoup touché dans cette longue et courte maladie. Cette façon qu’Anne-Sophie avait de confier ses craintes, ses lassitudes, ses douleurs mais sans « déprimer », sans se plaindre, et puis s‘en remettant toujours au Seigneur dans le combat pour la vie et goûtant pleinement ces moments de rapprochement avec toi ! Ses combats… et ses « fiat » qui suivaient.
Dans son tout premier mail, elle ne réalisait pas trop et avait du mal à dire « je suis malade ». Et puis, il y avait ces interrogations : la mission du Rocher, que voulait vous dire le Seigneur à travers cette nouvelle épreuve ? Elle s’en remettait à Dieu et aussi à nous ses frères surtout pour prier car sa fatigue ne le lui permettait pas toujours !
Son dernier mail était après les seconds résultats, période pendant laquelle il a été envisagé de lui « faire la totale ». Elle voulait pouvoir être ouverte à la venue d’autres enfants et puis elle s’inquiétait de ce que cette opération impliquerait pour votre vie de couple ! Elle savait, malgré tout, à chacun de nos échanges me demander des nouvelles de chez nous et puis nos discutions de « filles » étaient toujours aussi riches pour chacune de mes visites !
Et puis, je la trouvais si belle même sans ses cheveux… ses yeux si profonds ressortaient encore davantage ! »
A.
Elle confirmait Cyril dans ses talents personnels. Elle gardait avec soin le sens de l’humour : ses crises spirituelles à elle, c’était par exemple quand elle se plaignait d’avoir prié quelques minutes de moins tel ou tel jour…
Anne-Sophie et Cyril étaient membres de la Fraternité de Jésus mais ne s’étaient pas consacrés. Le Modérateur demanda au Conseil de la Fraternité de Jésus l’autorisation qu’ils fassent d’urgence leur consécration à Marseille dans les quartiers nord en l'Eglise St Louis au Rove, et non à Paray-le-Monial comme c’est la coutume. Elle eut lieu un mois exactement avant sa mort, le 16 décembre 2010, en petit comité et sans annoncer la nouvelle. A cette occasion au cours de la prière des frères, Le Modérateur leur déclara : « Vous êtes des aimants, votre amour attire, votre mission c’est d’aimer ». Cette phrase les toucha beaucoup. Ils reçurent alors une Parole de Dieu pour eux, qui était la suivante :
« Mais rappelez-vous ces premiers jours, où après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances, tantôt exposés publiquement aux opprobres et aux tribulations, tantôt vous rendant solidaires de ceux qui étaient ainsi traités. Et, en effet, vous avez pris part aux souffrances des prisonniers; vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, sachant que vous étiez en possession d'une richesse meilleure et stable. Ne perdez donc pas votre assurance; elle a une grande et juste récompense. Vous avez besoin de constance, pour que, après avoir accompli la volonté de Dieu, vous bénéficiiez de la promesse. Car encore un peu, bien peu de temps, Celui qui vient arrivera et il ne tardera pas » (He 10, 32-37).
5.- Le sens de la mission d’Anne-Sophie aujourd’hui
Pourquoi cette mort ? Le monde a terriblement besoin de personnes qui aident les autres, qui tiennent debout, qui aiment, qui se donnent. Elle avait tout cela. Son départ pose une vraie question d’ordre spirituel. Que veut Dieu ?
Les textes bibliques choisis par Cyril et lus à ses obsèques permettent peut-être de donner un certain éclairage à cette question. La première lecture était extraite de l’Epître aux Hébreux (5,1-10) et elle parle du Christ grand prêtre. Cette Epître peut aussi s’appliquer à chaque chrétien convaincu de la grâce de son baptême. Il est alors, dit la liturgie : « prêtre, prophète et roi. » Le roi est celui qui gère l’univers. Le prophète est celui qui parle aux hommes au nom de Dieu. Le prêtre sert d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. En ce sens, tout baptisé est prêtre. Bien entendu, le sacerdoce des baptisés ne se confond pas avec le sacerdoce ordonné des ministres du Christ. Cependant, chaque chrétien, au nom de son sacerdoce baptismal, intercède pour les besoins du monde. C’est bien ce qu’Anne-Sophie a fait durant sa vie et plus spécialement dans sa maladie.
Par ailleurs, Dieu peut demander à un prêtre d’aller très loin dans son don pour Dieu et pour les hommes. Le Christ lui-même, au nom de son sacerdoce, a donné sa vie. Dès lors, certaines phrases de ce texte prennent une grande signification si on les applique à Anne-Sophie, en particulier celles-ci : « Le grand prêtre est toujours pris parmi les hommes, et chargé d'intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est en mesure de comprendre ceux qui pèchent par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse » et encore : « il a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu'il soit le Fils, il a pourtant appris l'obéissance par les souffrances de sa Passion. »
Personne n’est plus grand que son maître. Ce que Jésus a vécu en donnant le maximum de son amour, Anne-Sophie a accepté de le vivre à son tour.
Le psaume 22 : « Le Seigneur est mon berger » exprimait admirablement cette attitude de confiance d’Anne-Sophie :
« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure. »
Quant à l’Evangile, il était tiré du magnifique chapitre 17 de l’Evangile selon saint Jean (1-11, 17, 24-26). Retenons simplement quelques phrases qui s’appliquent parfaitement à l’itinéraire d’Anne-Sophie : « J'ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. »
Ou encore : « Je prie pour eux ; ce n'est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m'as donnés : ils sont à toi, et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et je trouve ma gloire en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage, pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes. »
Nous savons qu’Anne-Sophie avait reçu une grâce liée à Marie au pied de la Croix. Dans cet instant, Marie reçoit Jean comme fils et à travers Jean l’ensemble des hommes. Quand on est uni à ce mystère de Marie au pied de la Croix, on reçoit une grâce de maternité pour les hommes et donc une grâce d’intercession. C’est bien ce qu’Anne-Sophie avait reçu elle-même. Elle intercédait au nom de son sacerdoce de baptisée. Elle s’offrait en union avec Jésus et Marie. Elle déployait par là, davantage encore, une grâce de maternité à l’égard du Rocher et des banlieues[6].
Cette grâce ne peut pas disparaître. La mission d’Anne-Sophie n’est visiblement pas achevée. Transférée très jeune dans le Ciel, elle continue là-haut sa mission d’ici-bas, en lui donnant une extension plus grande. L’aventure du Christ dans les cités est loin d’être terminée. Elle n’en est qu’à son début. Anne-Sophie veille et intercède pour elle.
[1] .- Lors des obsèques du pape Jean-Paul II, sur la place Saint-Pierre de Rome, le 2005, un grand nombre de fidèles avaient crié : « Santo Subito ! » « Saint tout se suite ! ». Comme aux origines chrétiennes se faisait entendre la voix de l’Esprit-Saint à travers celle du peuple chrétien. Devant une telle fama sanctitatis, le Pape Benoît XVI dispensa du délai légal de cinq ans avant de commencer une cause de béatification, et Jean-Paul II fut béatifié le 1° mai 2011.
[2] .- Allusion aux trois questions posées par Jésus à saint Pierre, au bord du lac de Tibériade, après sa Résurrection (Jn, 21, 15-19).
[3] ._ Cyril a témoigné qu’il a reçu les confidences d’un prêtre ayant reçu une profonde guérison sur un point précis de son ministère, ceci après en avoir parlé à Anne-Sophie.
[4] .- Provenant d’une crèche mexicaine, envoyée par des frères et sœurs en mission auprès des pauvres à Gainesville.
[5] .- Une petite statue de Marie.
[6] .- Pour le choix de Notre Dame du Rocher, une statue inesthétique avaient été choisie, « C’est dommage » dira t’elle car elle savait que les habitants des cités, qu’elle connaissait bien pour vivre avec eux depuis 10 ans, avaient besoin de Marie mère, femme, maternelle et douce. Quelque temps après son départ, beaucoup continuaient à prier, par l’intercession d’Anne-Sophie, pour que l’on trouve un visage de Marie pour Notre Dame du Rocher. La statue fut finalement abandonnée et une très belle peinture, peinte par la maman d’un jeune prêtre en mission dans une des cités où Le Rocher œuvrait, a été choisi définitivement.
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Par le Père Bernard Peyrous, directeur des Chapelains du Sanctuaire de Paray-le-Monial :
Le jeudi 20 janvier 2011, une foule considérable s‘était rassemblée dans la basilique de Paray-le-Monial. Une foule comme on n’a pas l’habitude de la voir dans les églises : des gens visiblement étrangers à ce type de lieu, de toutes origines, de toutes religions; d’autres, des chrétiens, visiblement chez eux dans cet édifice. Certaines personnes étaient venues en car, depuis les banlieues de la région parisienne et du sud de la France. D’autres arrivaient de loin, jusque de New-York. On sentait une émotion intense, un immense respect.
Le cercueil entra porté par quatre hommes d’origine africaine, extrêmement émus. On avait l’impression qu’ils tenaient entre leurs mains quelque chose de très précieux. Ils portaient le corps d’Anne-Sophie Tisserand, trente ans, mariée, ayant quatre jeunes enfants âgés de sept ans à quinze mois. Elle était décédée trois jours auparavant, le 17 janvier. On l’avait habillée avec sa robe de mariée, qu’elle avait revêtue une seule fois auparavant, dix ans plus tôt. C’est elle qui avait demandé à être ce jour-là en blanc. A la fin de la célébration, quelqu’un s’approcha du prêtre qui avait présidé et lui dit à mi-voix : « Santa Subito ! »[1] et il ajouta : « Je suis sérieux. Il faut la prier. Qui était Anne-Sophie Tisserand ?
1.- Sa vie
Anne-Sophie était née à Boulogne-Billancourt le 11 août 1980. Elle appartenait à une famille catholique de sensibilité traditionnelle. Son père, Christian, était cadre supérieur de grande entreprise et sa maman, Véronique, était artiste peintre et mère au foyer. Anne-Sophie était la deuxième de cinq enfants.
Sa famille était très pieuse, et elle fut éduquée dans ce milieu où l’on disait le chapelet chaque jour, où l’on faisait des pèlerinages, où la foi prenait une place importante, ceci dans une ambiance simple et classique. Elle fut élève au lycée des Mureaux, en banlieue parisienne, dans les Yvelines, où il y a maintenant une mission du Rocher. Mystérieusement, elle s’accoutumait déjà au monde des cités tout proche de son établissement. En terminale et début de ses études universitaires, (1ère année de fac de lettres modernes où elle ira jusqu’en maîtrise), elle connut le scoutisme : elle devint rapidement cheftaine, fit sa promesse, s’occupa de louveteaux. Elle commença ainsi à vivre son propre chemin de foi.
C’est en janvier 2000 qu’à l’occasion d’une formation dans le cadre de la Fédération des Scouts d’Europe (FSE), elle rencontra Cyril Tisserand. Celui-ci venait d’un milieu en partie incroyant. A la suite d’une évolution spirituelle récente, il avait compris qu’il fallait s’occuper de l’univers des cités, et il était en lien avec le père Jean-Marie Petitclerc, salésien, un grand éducateur de notre temps. Elle tomba amoureuse progressivement, pas dans un coup de foudre. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, elle agissait selon ce qu’elle était : avec patience, douceur, intériorité, et joie.
Au moment de leurs fiançailles, Cyril partait à Bondy pour créer un projet dont il avait eu l’intuition « LE ROCHER ». Il s’agissait de faire vivre des Chrétiens au cœur des cités, en lien étroit avec les habitants de celles-ci, dans l’amitié, en les aidant, notamment par un travail social et éducatif professionnel, et en donnant un témoignage de Foi, d’Espérance et de d’Amour. C’était quelque chose de très audacieux, et de très original en même temps. C’est durant cette période de fiançailles qu’Anne-Sophie a vraiment accepté d’entrer avec Cyril dans ce projet du Rocher.
Cyril et Anne-Sophie se sont mariés le 21 avril 2001, veille de la première célébration du premier dimanche de la Miséricorde, que Jean-Paul II venait de proclamer. Le soir même, Cyril l’emmena dans son HLM, à la Cité où ils allaient habiter, habillée en robe de mariée. Ils eurent la joie d’accueillir, en dix ans de bonheur commun, quatre beaux garçons.
Décrivons en quelques mots la personnalité d’Anne-Sophie, car celle-ci explique les dix ans qui vont suivre. De tempérament, elle était très intérieure, profonde, elle aimait la littérature et lisait énormément. Elle avait une très grande mémoire. Douée pour les langues, elle en connaissait plusieurs. Elle aimait profondément la vie, son mari, ses enfants, et les gens en général. Elle ne faisait pas de grands projets, à l’inverse de Cyril, mais elle était souvent d’accord avec lui ; elle acquiesçait à ces intuitions après plus mûre réflexion. Pour discerner un projet, Cyril attendait souvent son accord, sans le lui dire, comme le signe que « c’était bon ». Par contre elle était très humble face à ses propres qualités.
2.- Sa mission au Rocher
Cyril et Anne-Sophie ont vécu ensemble l’aventure du Rocher.
Quel fut le rôle d’Anne-Sophie ? Elle a « féminisé » et « maternisé », au meilleur sens de ces deux mots, la mission du Rocher. Elle était très femme dans sa manière d’être. Par exemple, elle se maquillait, sobrement et avec bon goût. Une sœur de la communauté de l'Emmanuel lui avait fait cette remarque positivement, comme un compliment. Elle passait énormément de temps à dialoguer avec les femmes qui venaient à elle. Quand elle revenait de l’école avec les enfants à Toulon, elle allait devant Le Rocher, elle s’asseyait sur un muret et elle engageait la conversation avec les mamans de la cité. Elle parlait peu, elle était très écoutante. On se sentait compris. Elle multipliait ainsi les contacts, et cela lui valait, de la part des hommes, un grand respect. Elle voulait également être efficace et aider au mieux les personnes. Ainsi, elle avait lancé les « ateliers des filles » et les « ateliers des mamans ». Sa joie c’était vraiment le contact avec les gens : « être avec les gens ».
Comment a-t-elle vécu cette mission ? Elle l’a vécu dans l’abandon. C’était sans doute la note caractéristique de sa vie spirituelle. Elle ne vivait pas sa foi de manière volontariste, mais dans une attitude de service pour cette mission précise du Rocher.
La mission était quand même difficile pour elle parfois. Elle qui avait grandi dans l’amour des belles choses, elle qui était faite pour ces belles choses, elle qui comprenait l’art, ne trouvait pas cela facilement dans sa vie quotidienne dans la Cité. Par contre, la vie spirituelle et les beaux chants de louange qu’elle aimait tant, lui étaient d’un grand secours.
L’été 2009, Anne-Sophie eut un songe. Un songe n’est pas un rêve. Dans un rêve, ce que l’on perçoit a un caractère assez irréel, un peu fantomatique, c’est une projection de l’inconscient. A l’inverse, un songe est objectif, il a une puissance de réalité extraordinaire. Il se grave profondément et précisément dans la mémoire. C’est réellement une visite du Ciel. Anne-Sophie vit donc Jésus qui lui disait : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? ».[2] Ce «ceux-ci » lui a fait immédiatement penser (c’était très clair pour elle) à Cyril et les enfants. Elle a répondu intérieurement « oui » rapidement (non plus dans le songe mais dans le réel).
Le 31 décembre 2010, Vivien, un grand ami du Rocher, revenu de mission Fidesco aux USA, leur rendit visite, en leur proposant de piocher charismatiquement deux cartes de Saints (parmi environ 200) avec une phrase : Anne-Sophie a pioché St Pierre, avec cette phrase : « Oui Seigneur, tu sais bien que je t’aime ; »
Les 10 années de mariage d’Anne-Sophie et de Cyril, avant la maladie, correspondent avec leurs dix années au service du Rocher.
3. - Sa maladie
En juin 2010 l’aîné des garçons d’Anne-Sophie et de Cyril fit sa première communion. Or elle ne se trouva pas bien. On fit des examens le 14 juin, une première opération eut lieu le 21 juin et le diagnostic fut rendu le 5 juillet. Cyril avait choisit de transmettre la direction du Rocher dans la nuit du 16 au 17 janvier 2010. La famille avait conscience qu’elle allait commencer une nouvelle étape de sa vie. Le projet était d’élargir l’expérience du Rocher à d’autres pays du monde. Concrètement, il s’agissait pour les Tisserand de partir maintenant s’installer à New-York dans le Bronx. En attendant, la famille pouvait prendre un peu de repos. Ce 5 juillet « c’était notre premier jour de vacance », disait Cyril. Ce fut aussi le jour où elle apprit qu’elle avait un cancer rarissime. Pour ce type particulier de cancer, le diagnostic ne donnait aucune chance de survie. Ce jour-là, elle parla à Cyril, mais très prudemment, sans prétendre tout comprendre, comme un pressentiment, du songe de l’été précédent.
Anne-Sophie ne voulait pas mourir. Jusqu’au dernier jour, elle souhaitait sa guérison : pour son mari, pour ses enfants, pour ceux qu'elle aimait, disait-elle aussi souvent. Elle aimait la vie et elle continua à l’aimer même dans les extrêmes souffrances. Elle engagea toutes ses forces dans la résistance à la maladie. Elle espéra jusqu’au bout. Elle fut énormément soutenue de toutes parts : du côté de son mari qui l’admirait de plus en plus. Il trouvait même sa femme « de plus en plus belle » à mesure que la maladie avançait. Du côté des habitants des cités de Bondy et de Toulon, très émus de ce qu’elle vivait. Du côté des prêtres. Du côté des membres du Rocher.
Anne-Sophie a beaucoup souffert. Aucun traitement ne l’a soulagée vraiment ni n’a pu entraver la marche rapide de la maladie. Le 31 décembre on lui annonça qu’il n’y avait aucun espoir. Elle dit un jour : « en souffrance rien ne m’a été épargné ». Elle avait tellement mal à certains moments, qu’elle ne pouvait plus s’asseoir ; elle restait courbée en position a genoux, comme pour prier, la tête prostrée en avant, en position fœtale : c’est ainsi qu’elle avait le moins mal. Il y eut une période où elle était tordue de douleurs, n’ayant pu aller aux toilettes pendant 15 jours. Même là elle ne criait pas, ne se plaignait pas. Il y eut aussi un épisode incroyable : elle devait subir un examen médical, une coloscopie, qui nécessitait une anesthésie locale et on le lui avait dit. Pour une raison inconnue, les médecins ont fait l’examen sans anesthésie : elle a souffert dès le début mais n’a pourtant rien dit.
Anne-Sophie décida, dès le début de la maladie, de la vivre en union avec le Christ et d’offrir ses souffrances pour le salut et l’évangélisation du monde. Elle a clairement et plusieurs fois explicitement affirmé qu’elle les offrait pour trois grands axes d’intercession :
- son mari et ses enfants
- les Missions, notamment du Rocher
- les prêtres.[3]
A plusieurs reprises évoquant en couple son départ possible pour le Ciel, Anne-Sophie évoqué la question de l’absence d’une maman pour ses enfants et disait à Cyril « tu sais je voudrais vraiment que tu saches que tu pourrais te marier à nouveau si le Seigneur t’y appelle», mais Cyril refusait catégoriquement l'idée. Un mois avant son départ où elle était alitée et très faible, elle dit à Cyril « Je vois bien que tu es capables de t’en sortir avec les enfants, de t’organiser, mais une maman c’est tellement important. Si je pars, tu sais, je voudrais une maman pour mes enfants ». Cyril lui dit alors qu’elle serait leur maman au Ciel si jamais elle partait, alors elle lui répondit « Oui tu as raison, et dès que j’arriverai au Ciel, c’est moi qui vous trouverait une maman et une épouse ».
La souffrance ne la fermait pas sur elle-même. Elle voulait « être une source de fraîcheur spirituelle pour les autres. » Elle l’avait écrit au dos d’une feuille, qui était la liste des participants au pèlerinage des cités à Paray-le-Monial pour lesquels elle s’était décidée à prier. Elle gardait un cœur de compassion. Au milieu de sa souffrance, elle évoquait avec tendresse une jeune fille du Rocher en disant : « ma petite Jennifer… ». Elle restait profondément humaine. Elle écrivait ainsi trois jours avant sa mort, le vendredi 14 janvier : « ... J’aime observer les petites et grandes choses qui construisent mon quotidien, personnes, rencontres, objets, livres, les regarder sous un autre angle, découvrir dans ce qu’ils ont d’unique quelque chose de la beauté, de la grandeur, de la fragilité, de la profondeur de la vie, et les garder, comme un trésor… ».
Les douleurs empirèrent avec le temps. Elle souffrait le martyre. Elle déclara un jour à un frère prêtre qui la visitait : « Je pleurais, je pleurais, tenant le petit Jésus[4], et la sainte Vierge. »[5] La tumeur avait sans doute attaqué les nerfs : elle disait qu’elle se sentait « brûler vive », du ventre aux genoux. Les médecins lui donnaient des doses impressionnantes de morphine et de neuroleptiques pour calmer la douleur. Mais cela ne suffisait pas. Elle était désireuse de guérir, et tout à la fois abandonnée à l’issue finale quelle qu’elle serait. Elle avait accepté sa mort probable : « je t’aime Seigneur, je suis prête ».
Quelques jours avant sa mort, elle écrivait dans son carnet personnel :
« ... J'ai l'intuition d'une résurrection à venir pour moi. Mais je ne sais pas quand, je ne sais pas comment. La Résurrection de la guérison ? La Résurrection après la mort ? Je ne sais pas, Dieu seul sait. Mais je sais qu'Il prend soin de moi. Je l'aime, Il est mon Dieu, mon Roi, mon Père, mon Rocher, mon Espérance et ma joie ! »
Le jour où elle a le plus souffert fut le vendredi avant sa mort. Le lendemain, samedi matin 15 janvier, Cyril devait lui rendre visite à l’hôpital avec les enfants, mais elle l’appela, lui disant : « Ne venez pas… je souffre trop… ce sera trop dur pour les enfants ». Cyril ne vint donc pas. A 17h l’hôpital le contacta en lui disant qu’ils l’avaient placée en réanimation, juste pour mieux l’observer : « Il n’y a pas de risque pour cette nuit ». Mais à 23h, Cyril recevait un coup de fil alarmé de l’hôpital : Anne-Sophie avait fait une septicémie sévère, puis un choc septique (infection généralisée). Cyril arriva aussitôt mais les médecins avaient dû la mettre en coma artificiel, et le pronostic vital était engagé. Le médecin du service de réanimation a écrit plus tard: « Elle savait que j’allais la mettre dans le coma ; elle a montré un grand courage et n’a émis aucune plainte » et encore « je voudrais vous dire combien votre femme m’impressionnée pendant sa prise en charge ».
Le scanner montrera une péritonite en situation d’aplasie : intestin ouvert, bactéries répandues dans le corps au moment où, suite à une chimiothérapie intensive avant une autogreffe, elle n’avait plus de globules blancs pour se défendre. Cyril passa ainsi toute la journée du dimanche à son chevet. Il était souvent interrompu par les médecins, mais ils eurent trente minutes de vraie intimité. Malgré tout Cyril rentra chez lui le soir, car il fallait bien s’occuper des enfants.
Mais, vers 3h du matin, dans la nuit de dimanche 16 au lundi 17 janvier il reçoit un appel de l’hôpital l’avertissant que c’est bientôt la fin. Il arrive à l’hôpital et va assister Anne-Sophie jusqu’à sa mort. Elle est dans le coma mais elle l’entend, la suite va le montrer. Quand il arrive son cœur bat rapidement, aidé par l’adrénaline délivrée. A l’arrivée de Cyril les médecins arrêtent de la soutenir. Peu à peu, le rythme cardiaque diminue : 140… 138… etc., jusqu’à 50. Pendant tout ce temps il prie des « Je vous salue Marie ». A ce stade il se dit que la fin est toute proche : il redit à sa femme son amour pour elle, et lui confie les enfants, les missions du Rocher et une nouvelle mission qui allait démarrer: Aimer et Servir. Précisément à ces paroles son cœur se remet à battre plus rapidement, remontant jusqu’à 120, signe qu’elle l’a entendu. Puis le rythme cardiaque décline de nouveau doucement. Il l’embrasse. Il la bénit. Elle s’éteint quelques instants après.
4.- Quelques traits de sa personnalité spirituelle
Anne-Sophie « aimait surtout la louange, car la louange c’est pour les simples et elle était simple ». Ses grandes qualités de mémoire faisaient qu’elle savait les chants par cœur. Elle aimait l’adoration et sa compassion envers tous les hommes s’exprimait par sa grande qualité d’écoute. Alors que Cyril vivait de grands combats intérieurs, elle était toujours paisiblement sûre que c’était leur appel.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus était une grande amie pour elle. Toute sa vie elle a beaucoup aimé la Vierge Marie : mais vers la fin elle a reçu une forte grâce particulière de découverte de la maternité de Marie à son égard : « j’ai découvert Marie comme ma maman, c’est incroyable ». Elle lui a clairement dit un jour : « Marie, je te confie ma mort ». Le 7 janvier, elle avait rédigé dans son carnet personnel un texte où elle témoignait de son désir de mieux connaître Marie, « mieux la connaître au pied de la croix… »
Elle était d’une grande sensibilité. Une énorme qualité chez elle : elle ne critiquait jamais les personnes. Elle ne voyait que le positif chez elles. Même avec des gens que Cyril pouvait juger parfois « difficiles », c’est comme si naturellement elle n’avait « rien vu ». Elle apportait un autre regard sur les personnes et les situations, qui aidaient beaucoup Cyril dans son discernement. Elle apaisait les décisions, évitait les incidents.
Depuis le décès, Cyril a reçu plusieurs messages témoignant de la grâce d’amitié dont était capable Anne-Sophie. Pour elle l’essentiel c’était les personnes.
« Chers Sylvie et Jean,
je vous envois donc ce qui vient dans mon cœur, ce n'est pas tout un témoignage mais plutôt un trait de ce qui caractérisait un peu Anne-Sophie dans ce que je pouvais voir de mon côté au quotidien.
Anne-Sophie et la notion du temps :
Dans les différents contextes où je pouvais voir Anne-Sophie, elle ne se mettait pas en première ligne ou en avant, elle ne cherchait pas à attirer l'attention, cela ne semblait pas l'intéresser, mais elle était là. Là et bien présente, là et disponible. Dans quel sens?
En effet elle était présente et disponible pour rentrer en relation avec la personne qui se trouvait prés d'elle. Quelle que soit cette personne. Cette relation établie ne semblait pas être forcée, calculée, intéressée, où de l'ordre de la bonne action que je fais en prenant du temps pour l'autre en étant dans la compassion. Non c'était simple. Une relation d'égal à égal où j'ai conscience que cette personne à quelque chose à me révéler comme moi même j'ai quelque chose à lui apporter. Mais pour découvrir ce trésor de l'autre, elle savait prendre le temps. Et là sa notion du temps était pour moi surprenante. Elle était tout à la discussion, tout à la personne, vraiment intéressée, ne comptant pas ses minutes, qui de nos jours ont valeurs d'or.
En se dévoilant simplement elle même, elle savait faire tomber les protocoles des discours préétablis afin de rentrer dans une relation de simplicité et de vérité. »
G.
« Je voulais lui écrire et lui dire combien elle a changé ma vie de foi, notre vie de foi et le temps m’a prise de court. Bien vite, trop vite.
Lorsque je pense à Anneso, je vois cette belle femme brune aux yeux bleus maquillés, avec ses perles noires aux oreilles et ce sourire à la fois doux, franc , beau y compris la semaine dernière à l’hôpital où mon mari et moi avons été saisis par cette beauté à la fois intérieure et extérieure qui rayonnait dans la chambre !
Je me souviens de nos conversations qui pouvaient être si profondes ou si « filles » , Anneso est pour moi l’exemple de la profondeur incarnée ds le monde. Je me retrouvais ds sa vision du couple où être femme, épouse a une place si importante…elle était si forte malgré une fragilité physique avec le rythme de ses 4 garçons, souvent fatiguée avec ses sinusites, si on avait pu deviner qu’un jour elle supporterait de telles souffrances physiques… . Force qu’elle puisait ds sa prière quotidienne et sa façon bien à elle de vivre au jour le jour chaque jour que dieu fait !
Je priais fort aujourd’hui pour Anneso et en ouvrant ma Bible je suis tombée sur le livre de Daniel 4 : LE SONGE PREMONITOIRE !!!! et le témoignage de Cyril sur les 2 songes d’Anneso m’avaient spécialement marquée... ms j’attends avis de Cyril avt de le raconter… La semaine dernière, nous avons aussi parlé du sang des martyrs qui convertit tt autour de lui, Cyril (au bord des larmes) souhaitait une mort « évangélisatrice » pour sa tendre anneso, et bien nous le voyons ds les cités, chez nos amis, eh oui ! Elle continue de toucher les cœurs, alliant la grâce du ciel et la force sur terre dorénavant.
Je vous embrasse de tout mon cœur si triste ms si plein d’espérance de la savoir au Ciel »
M.A.
« Mes difficultés à m’exprimer entravent un peu (beaucoup !) tout ce que je voudrais te partager. A la grâce de Dieu et que l’Esprit Saint vienne me guider et m’éclairer !
Une des premières choses qui m’a attiré fortement chez Anne-Sophie, c’est sa profonde humanité, sa façon simple d’être vraiment incarnée, en tant que femme et puis en tant que maman. Sa façon de prendre soin de son apparence n’avait rien de superficiel, son soucis de la beauté mais aussi pour les autres : toi (un partage lors d’un petit repas à la cafet m’a beaucoup touchée. Nous parlions de la relation au corps. Et je me souviens qu’Anne-Sophie aimait la façon dont tu la regardais et qui la rendait encore plus femme. Ce partage tout simple, intime mais si pudique m’a beaucoup fait cheminer dans mon intimité avec mon mari. Et puis elle avait une façon tout à elle, toute pure, de dire que la sexualité dans le couple était quelque chose de bien agréable !) et puis ceux qu’elle pouvait rencontrer. Son souci de prendre soin d’elle était pour moi une manière d’entrer en relation avec l’autre et de le respecter. J’ai aimé faire les boutiques avec elle. Cette journée m’a aidé, à travers son regard, à mieux apprécier mon corps de femme et à accepter qu’il soit davantage mis en valeur et visible. Merci ma très chère Anne-Sophie !
Parmi les partages qui m’ont beaucoup touché et fait grandir, il y a eu ceux pendant lesquels nous partagions nos limites, surtout celle de maman dépassée. (C’est à son contact que j’ai appris à dire non pas : tout va bien, je gère mais je suis complètement débordée mais ça ira mieux demain ou plus tard avec la grâce de Dieu !) . Elle voyait ses limites, s’en remettait au Seigneur certes, mais cherchait toujours un moyen d’améliorer le quotidien au jour le jour, par les livres, les partages, cette formation CNV, des petites décisions simples. Je me souviens qu’après la naissance d’Alexandre, elle était particulièrement fatiguée. Elle s’en est souciée en consultant. Te souviens-tu de cette période où elle avait des douleurs abdominales qui l’inquiétaient. Elle avait consulté un autre gynécologue qui était un peu plus à l’écoute. Il lui avait parlé d’un peut-être mauvais fonctionnement du foie et puis finalement les résultats d’analyse n’avaient rien donné. Pendant cette période « d’incertitude », elle m’avait confié : « tu sais, j’ai un peu peur. Je crois que je ne supporterai pas la souffrance d’une maladie comme le cancer ou un truc grave… » (Ses paroles me sont revenues comme un cou de fouet quand j’ai lu votre tout premier mail). Et puis, sa confiance en Dieu lui faisait dépasser ses peurs et avancer. C’est dans cette même période, qu’elle appréhendait la venue d’un quatrième enfant… Elle était si frêle ! Là encore j’ai été saisi du chemin que la grâce de Dieu a fait dans son cœur en quelques mois. Un jour, elle m’a tout simplement dit : « ça y est, maintenant je suis prête à accueillir à nouveau un enfant ! » Elle vous aimait tant ! Elle savait si bien aimer !
Il m’a semblé que l’accueil d’une éventuelle nouvelle mission (Le Bronx NY) s’est faite dans la même douceur….Elle était si heureuse d’avoir « un petit chez soi » ….Un pas après l’autre avec l’aide du Seigneur et la tienne et puis celle des frères aussi ! C’est aussi ce qui m’a beaucoup touché dans cette longue et courte maladie. Cette façon qu’Anne-Sophie avait de confier ses craintes, ses lassitudes, ses douleurs mais sans « déprimer », sans se plaindre, et puis s‘en remettant toujours au Seigneur dans le combat pour la vie et goûtant pleinement ces moments de rapprochement avec toi ! Ses combats… et ses « fiat » qui suivaient.
Dans son tout premier mail, elle ne réalisait pas trop et avait du mal à dire « je suis malade ». Et puis, il y avait ces interrogations : la mission du Rocher, que voulait vous dire le Seigneur à travers cette nouvelle épreuve ? Elle s’en remettait à Dieu et aussi à nous ses frères surtout pour prier car sa fatigue ne le lui permettait pas toujours !
Son dernier mail était après les seconds résultats, période pendant laquelle il a été envisagé de lui « faire la totale ». Elle voulait pouvoir être ouverte à la venue d’autres enfants et puis elle s’inquiétait de ce que cette opération impliquerait pour votre vie de couple ! Elle savait, malgré tout, à chacun de nos échanges me demander des nouvelles de chez nous et puis nos discutions de « filles » étaient toujours aussi riches pour chacune de mes visites !
Et puis, je la trouvais si belle même sans ses cheveux… ses yeux si profonds ressortaient encore davantage ! »
A.
Elle confirmait Cyril dans ses talents personnels. Elle gardait avec soin le sens de l’humour : ses crises spirituelles à elle, c’était par exemple quand elle se plaignait d’avoir prié quelques minutes de moins tel ou tel jour…
Anne-Sophie et Cyril étaient membres de la Fraternité de Jésus mais ne s’étaient pas consacrés. Le Modérateur demanda au Conseil de la Fraternité de Jésus l’autorisation qu’ils fassent d’urgence leur consécration à Marseille dans les quartiers nord en l'Eglise St Louis au Rove, et non à Paray-le-Monial comme c’est la coutume. Elle eut lieu un mois exactement avant sa mort, le 16 décembre 2010, en petit comité et sans annoncer la nouvelle. A cette occasion au cours de la prière des frères, Le Modérateur leur déclara : « Vous êtes des aimants, votre amour attire, votre mission c’est d’aimer ». Cette phrase les toucha beaucoup. Ils reçurent alors une Parole de Dieu pour eux, qui était la suivante :
« Mais rappelez-vous ces premiers jours, où après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances, tantôt exposés publiquement aux opprobres et aux tribulations, tantôt vous rendant solidaires de ceux qui étaient ainsi traités. Et, en effet, vous avez pris part aux souffrances des prisonniers; vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, sachant que vous étiez en possession d'une richesse meilleure et stable. Ne perdez donc pas votre assurance; elle a une grande et juste récompense. Vous avez besoin de constance, pour que, après avoir accompli la volonté de Dieu, vous bénéficiiez de la promesse. Car encore un peu, bien peu de temps, Celui qui vient arrivera et il ne tardera pas » (He 10, 32-37).
5.- Le sens de la mission d’Anne-Sophie aujourd’hui
Pourquoi cette mort ? Le monde a terriblement besoin de personnes qui aident les autres, qui tiennent debout, qui aiment, qui se donnent. Elle avait tout cela. Son départ pose une vraie question d’ordre spirituel. Que veut Dieu ?
Les textes bibliques choisis par Cyril et lus à ses obsèques permettent peut-être de donner un certain éclairage à cette question. La première lecture était extraite de l’Epître aux Hébreux (5,1-10) et elle parle du Christ grand prêtre. Cette Epître peut aussi s’appliquer à chaque chrétien convaincu de la grâce de son baptême. Il est alors, dit la liturgie : « prêtre, prophète et roi. » Le roi est celui qui gère l’univers. Le prophète est celui qui parle aux hommes au nom de Dieu. Le prêtre sert d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. En ce sens, tout baptisé est prêtre. Bien entendu, le sacerdoce des baptisés ne se confond pas avec le sacerdoce ordonné des ministres du Christ. Cependant, chaque chrétien, au nom de son sacerdoce baptismal, intercède pour les besoins du monde. C’est bien ce qu’Anne-Sophie a fait durant sa vie et plus spécialement dans sa maladie.
Par ailleurs, Dieu peut demander à un prêtre d’aller très loin dans son don pour Dieu et pour les hommes. Le Christ lui-même, au nom de son sacerdoce, a donné sa vie. Dès lors, certaines phrases de ce texte prennent une grande signification si on les applique à Anne-Sophie, en particulier celles-ci : « Le grand prêtre est toujours pris parmi les hommes, et chargé d'intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est en mesure de comprendre ceux qui pèchent par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse » et encore : « il a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu'il soit le Fils, il a pourtant appris l'obéissance par les souffrances de sa Passion. »
Personne n’est plus grand que son maître. Ce que Jésus a vécu en donnant le maximum de son amour, Anne-Sophie a accepté de le vivre à son tour.
Le psaume 22 : « Le Seigneur est mon berger » exprimait admirablement cette attitude de confiance d’Anne-Sophie :
« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure. »
Quant à l’Evangile, il était tiré du magnifique chapitre 17 de l’Evangile selon saint Jean (1-11, 17, 24-26). Retenons simplement quelques phrases qui s’appliquent parfaitement à l’itinéraire d’Anne-Sophie : « J'ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. »
Ou encore : « Je prie pour eux ; ce n'est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m'as donnés : ils sont à toi, et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et je trouve ma gloire en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage, pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes. »
Nous savons qu’Anne-Sophie avait reçu une grâce liée à Marie au pied de la Croix. Dans cet instant, Marie reçoit Jean comme fils et à travers Jean l’ensemble des hommes. Quand on est uni à ce mystère de Marie au pied de la Croix, on reçoit une grâce de maternité pour les hommes et donc une grâce d’intercession. C’est bien ce qu’Anne-Sophie avait reçu elle-même. Elle intercédait au nom de son sacerdoce de baptisée. Elle s’offrait en union avec Jésus et Marie. Elle déployait par là, davantage encore, une grâce de maternité à l’égard du Rocher et des banlieues[6].
Cette grâce ne peut pas disparaître. La mission d’Anne-Sophie n’est visiblement pas achevée. Transférée très jeune dans le Ciel, elle continue là-haut sa mission d’ici-bas, en lui donnant une extension plus grande. L’aventure du Christ dans les cités est loin d’être terminée. Elle n’en est qu’à son début. Anne-Sophie veille et intercède pour elle.
[1] .- Lors des obsèques du pape Jean-Paul II, sur la place Saint-Pierre de Rome, le 2005, un grand nombre de fidèles avaient crié : « Santo Subito ! » « Saint tout se suite ! ». Comme aux origines chrétiennes se faisait entendre la voix de l’Esprit-Saint à travers celle du peuple chrétien. Devant une telle fama sanctitatis, le Pape Benoît XVI dispensa du délai légal de cinq ans avant de commencer une cause de béatification, et Jean-Paul II fut béatifié le 1° mai 2011.
[2] .- Allusion aux trois questions posées par Jésus à saint Pierre, au bord du lac de Tibériade, après sa Résurrection (Jn, 21, 15-19).
[3] ._ Cyril a témoigné qu’il a reçu les confidences d’un prêtre ayant reçu une profonde guérison sur un point précis de son ministère, ceci après en avoir parlé à Anne-Sophie.
[4] .- Provenant d’une crèche mexicaine, envoyée par des frères et sœurs en mission auprès des pauvres à Gainesville.
[5] .- Une petite statue de Marie.
[6] .- Pour le choix de Notre Dame du Rocher, une statue inesthétique avaient été choisie, « C’est dommage » dira t’elle car elle savait que les habitants des cités, qu’elle connaissait bien pour vivre avec eux depuis 10 ans, avaient besoin de Marie mère, femme, maternelle et douce. Quelque temps après son départ, beaucoup continuaient à prier, par l’intercession d’Anne-Sophie, pour que l’on trouve un visage de Marie pour Notre Dame du Rocher. La statue fut finalement abandonnée et une très belle peinture, peinte par la maman d’un jeune prêtre en mission dans une des cités où Le Rocher œuvrait, a été choisi définitivement.